La rue du Val des Nonnes à Guebwiller
Der Nontel
F. Grivel
Lors de la sortie de printemps (Maibummel) 2008, le rendez-vous de départ fut fixé à la Breilmatt. On se trouva alors en face de la rue du Val des Nonnes. Ce nom ne manqua pas de susciter quelque étonnement parmi les participants. Pourquoi une telle dénomination ? Il n'y avait, à première vue, ni val, ni nonnes ou souvenir de nonnes. Bien sûr, on pouvait imaginer qu'il y eût jadis, à cet endroit, un établissement religieux abritant des nonnes et qui aurait disparu, ou un terrain qui aurait appartenu à des nonnes. Une recherche plus approfondie menée dans la Chronique des Dominicains ou dans l'ouvrage de Charles Braun permettrait peut-être d'en trouver l'origine. La rue présente la particularité d'être orientée en diagonale par rapport aux autres; ce fait comporte-t-il une indication quant à sa raison d'être et, partant, à son nom? Il est à noter qu'entre 1940 et 45, elle s'appelait Nonnentalgasse ; qu'en fut-il avant 1918 ?
Ces commentaires sur le nom de la rue me rappelèrent une interprétation de laquelle mon beau-père, Monsieur Marcel Schumm (1910-1995), m'avait fait part. Monsieur Schumm était un excellent connaisseur de Guebwiller, où il avait passé toute sa vie. Il avait entendu dire d'une source (personne ? rumeur ?), qu'il avait dû me citer mais que je n'ai retenue, que Nonnentalgasse était le chemin (Gasse) qui menait au Nonnental (Krayenbach ? Bergstrasse, devenue rue Emile Keller ?), lieu où l'on pratiquait la castration des porcs par brisure des testicules (Nonnenbruch). Il existe entre Wittelsheim et Richwiller une vaste forêt du même nom où se serait effectuée la même opération.
Remarquons enfin que derrière le Grosse Felsala, non loin de l'endroit où nous étions, se trouve le Saulager, vaste terrain aplani avec ses vieux chênes alignés encore en partie préservés, et dont le nom désigne assez explicitement ce à quoi il devait servir. Les bêtes préalablement ainsi (mal)traitées étaient-elles ensuite conduites et parquées là-haut ? Vielleicht könnte man das erfahren...
Rue du Val des Nonnes (suite)
d'r Nontel (Fortsetzung)
Richard Ledermann
François Grivel nous livre ci-dessus une interprétation étymologique de notre Nonntel guebwillerois, nous l'entendions pour la première fois. L'interprétation de l'abbé Braun dans ses Légendes du Florival était la seule que nous connaissions : « Les nornes étant devenues des nonnes dans la bouche du peuple, on en parle ordinairement comme de trois sœurs qui auraient fondé ou habité ensemble un de ces couvents dont aucun document ne fait mention, comme le prétendu couvent de la Dornsyle ou celui de notre Nonnenthal qui peut être le même que ce Blumenthal, si vaguement indiqué dans la Chronique (1)».
Eben im obgemelten jahr ist das Jungfrauen Closter bei Gebweiler blumenthal genannt (ob solches Engelporthen oder ein anderes mues sein habe ich nicht erfahren können) gestüfftet oder fundiert worden. (1)
Notre Nonnenthal semble être le seul dans le Haut-Rhin. Une recherche rapide sur Internet nous en a fait découvrir : en Allemagne à Ramberg, à Neustadt an der Haardt en Rhénanie-Palatinat, à Eisleben-Lutherstadt en Saxe-Anhalt ou encore à Neustadt an der Orla en Thuringe et plus près de nous dans le Parc Naturel Régional des Vosges du Nord, la forêt du Nonnenthal. Gageons que des investigations plus poussées permettraient d'en découvrir d'autres.
Alors Val des Nornes, des Nonnes ou temple de la castration des animaux domestiques tels que taureau, verrat, bélier ? Les ouvrages parus depuis la rédaction de la Chronique sont tous muets au sujet d'un couvent construit à cet endroit. Le Jungfrauen Closter dont parle Dietler ne peut être que le couvent d' Engelporthen, sa mention est annotée pour l'an 1294, année de sa fondation. Les Dominicaines étaient-elles propriétaires dun terrain dans ce vallon, peut être de la vigne ? Il restait après la guerre de Trente Ans dans le Nonthal de la vigne laissée à l'abandon (zwei Schatz 2).
Qu'en est-il alors de la castration ? Georges Stoffel, dans son Dictionnaire topographique du Haut-Rhin, annote pour le Nonnenbruch près de Cernay les deux orthographes suivantes : Munebruoch (XIIe siècle) et Münenbrüch (XVe siècle). Le toponyme est composé des noms Mune et Bru(o)ch. Mune est certainement une des orthographes de Muni le taureau et Bru(o)ch vient sans doute de Breche, die Breche, un outil ou instrument qui sert à briser. Munebruoch et Münenbrüch, littéralement castration du mâle serait devenu par extension l'endroit où la mutilation avait lieu. Le Sprach Brockhaus nous fournit l'information suivante : Muni, Mundart, Schweiz, Stier und andere männliche Tiere. Muni qualifie en dialecte suisse les animaux mâles reproducteurs ayant atteint leur maturité sexuelle, probable quil en était ainsi en Alsace bien qu'aujourdhui il ne désigne plus que le taureau. Nous pourrions ainsi conforter l'hypothèse de F.G. si nous avions trouvé mention quelque part d'un Mune- ou Munithal, mais tel n'est pas le cas en l'état actuel de nos recherches, seul le toponyme Nonnenthal semble avoir traversé les âges.
Quant au Munibuckel (3), il s'agissait de l'endroit où était gardé le taureau et où logeaient les vachers, les porchers et les chevriers. Ainsi, nous n'aurions aucune explication rationnelle ? C'est encore le Sprach Brockhaus qui va nous éclairer en la matière et conforter l'hypothèse émise par M. Schumm : Nonne, oberdeutsch (4) verschnittenes weibliches Tier, littéralement femelle châtrée. Le Gegenwort-Wörterbuch (5) est, quant à lui, plus précis : Nonne weibliches kastriertes Schwein. Et c'est tout naturellement, si l'on peut dire, que les Schweineverschneider, ces castrateurs de cochons, furent appelés Nonnenmacher ou Nonner, littéralement le faiseur de Nonne.
Nonnenmacher deviendra un nom de famille et il est permis de penser que l'un dentre eux châtrait verrats et truies en ces lieux, toutefois point de famille Nonnenmacher à Guebwiller en particulier et dans le Florival en général. Nous avons tout naturellement contacté le généalogiste M. Denis Dubich qui aimablement a éclairé notre lanterne en vessie de Nonne : Il nous conforte dans nos recherches et ajoute que ce patronyme surtout présent dans le Bas-Rhin est à rapprocher du patronyme Drucker qui désigne la même profession. Quant au patronyme Nonnenmann les avis divergent, nous avons retrouvé la tombe en déshérence au cimetière communal d'une Amélie Nonnenmann décédée en 1910, ce nom est composé comme certains autres, Nonne(n)mann et serait bien en rapport avec les nonnes et désignait un homme cerf, ein Höriger, d'un couvent de nonnes selon H. Bahlow, alors que pour J.K. Brechenmacher, Nonnenmann nest autre qu'un Nonnenmacher.
En Belgique (8), le nunne est un porc castré qui fournit le vieux oing (9). On l'applique par dérision au mari de la nonne, au célibataire du clergé qui a pour chef un vieux garçon : le Pape.
Il existe par ailleurs dans le Haut-Rhin (10) :
Un Nonnengarten à Feldbach, un Nonnengraben à Blotzheim, un Nonnenholtz à Colmar, un Nonnelehen à Riedisheim, un Nonnenloch à Pulversheim, des Nonnenmatten à Pfetterhouse et Seppois le Bas, un Nonnenplon à Wintzenheim et un Nonnenweyer à Pfetterhouse. Autant de lieux qui ont peut-être été les témoins de ces mutilations ou qui plus prosaïquement rappellent un lien avec un couvent de moniales.
Quant au Saulager (Sauilàger), il est comme le Sauloch (Sauiloch) à Schweighouse ou le Sauwasen (Sauiwàsa) à Lautenbach lendroit où les porchers menaient les bêtes.
1 Die Gebweiler Chronik, Seraphin Dietler p.21
2 Schatz ancienne mesure de surface agraire valant environ 8 ares - Weinbau, Weinhandel und Weinbrauch in Gebweiler, p. 58 L. Ehret
3 Die Hirtenhäuser lagen hinter dem alten Spital (rue de lancien Hôpital) und wurden von Kuhhirten, sowie von den schwein- und geisenhürth unentgeltlig bewohnt. - Handwerk und Handwerker im alten Gebweiler p.130 - Ch. Wetterwald
4 süddeutsch
5 Gegenwort-Wörterbuch - Wolfgang Müller
6 Deutsches Namenlexikon Hans Bahlow
7 Etymologisches Wörterbuch der Deutschen Familiennamen - Josef Karlmann Brechenmacher
8 Epigraphie de la Gaule Sceltane - Georges Touflet Du Mesnil
9 la graisse pour les moyeux des roues
10Dictionnaire topographique du Haut-Rhin - Georges Stoffel